Palette littéraire

« La jeune Tarentine », André Chénier

Explication de textes :

 

Chénier : « La jeune Tarentine Â», par Mouna Bouziane.

Pleurez, doux alcyons, ô vous, oiseaux sacrés,
Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons, pleurez.

Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine.
Un vaisseau la portait aux bords de Camarine.
Là l'hymen, les chansons, les flûtes, lentement,
Devaient la reconduire au seuil de son amant.
Une clef vigilante a pour cette journée
Dans le cèdre enfermé sa robe d'hyménée
Et l'or dont au festin ses bras seraient parés
Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés.
Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles,
Le vent impétueux qui soufflait dans les voiles
L'enveloppe. Étonnée, et loin des matelots,
Elle crie, elle tombe, elle est au sein des flots.

Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine.
Son beau corps a roulé sous la vague marine.
Thétis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher
Aux monstres dévorants eut soin de la cacher.
Par ses ordres bientôt les belles Néréides
L'élèvent au-dessus des demeures humides,
Le portent au rivage, et dans ce monument
L'ont, au cap du Zéphir, déposé mollement.
Puis de loin à grands cris appelant leurs compagnes,
Et les Nymphes des bois, des sources, des montagnes,
Toutes frappant leur sein et traînant un long deuil,
Répétèrent : « hélas ! » autour de son cercueil.

Hélas ! chez ton amant tu n'es point ramenée.
Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée.
L'or autour de tes bras n'a point serré de nœuds.
Les doux parfums n'ont point coulé sur tes cheveux.

 

 

   L’amour et le plaisir sont les mots – clefs de la poésie de Chénier : ils sont constamment célébrés dans ses Elégies. N’est-il pas l’enfant de son siècle ? Mais l’amour ne s’accomplit pas : il y a toujours des écueils qui l’empêchent de se réaliser. La célébration de l’amour se fait souvent contre les valeurs et les discours dominants. Le poète est contre tout ce qui contrecarre l’amour. C’est le cas dans le poème, objet de notre étude, « La jeune Tarentine Â» où le poète narre le naufrage de l’héroïne Myrto qui devait jouir d’une vie heureuse auprès de son amant.

   Nous allons voir dans quelle mesure le poète reprend un topos romanesque par excellence à savoir la mort de l’héroïne, comment l’amour est entravé par la mort donnant ainsi lieu un sens à l’élégie.

   Pour mener à bien cette problématique, nous avons réparti notre poème en trois mouvements :

v      Le 1er mouvement : du début au 3ème vers : il annonce la mort de Myrto et appelle au deuil.

v      Le 2ème mouvement : du 4ème vers au 14ème, il s’agit d’une description narration de la mort de Myrto.

v      Le 3ème mouvement : du 15ème vers jusqu’à la fin du poème, tout est en deuil.

 

I-                  1ER mouvement : mort de Myrto et appel au deuil :

 

      Le titre du poème est significatif : il met en relief deux informations : il s’agit d’abord d’un personnage féminin comme le montre l’article défini. Le personnage est de Tarente (Taranto, une ville d’Italie), un autre indice qui n’est pas moins important : le titre met en exergue la jeunesse de l’héroïne. Ce titre sera repris dans le troisième vers par le pronom personnel « elle Â» et par le pronom « tu Â» à la fin du poème.

   Le premier vers débute sur le mode de l’impératif « Pleurez Â», on demande aux alcyons de verser des larmes. Les alcyons, comme il est indiqué en bas de page, sont des oiseaux de l’Antiquité. L’apostrophe « Ã– vous Â» vient confirmer l’appel. Ces oiseaux sont sacrés et « chers à Thétis Â», Thétis est la fille de Nérée et la plus belle des néréides, divinités clémentes. Les deux premiers vers sont marqués par une structure chiasmatique : « Pleurez, doux alcyons/ doux alcyons, pleurez Â» (2/4_4/2) : le chiasme est aussi rythmique. Une question s’impose : que devraient-il pleurer ? La réponse : Myrto, la jeune Tarentine : « Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine ! Â». Ils vont donc pleurer la mort de Myrto, l’euphémisme « Elle a vécu Â» qui se substitue à « Elle est morte Â», cette mort est objet de regret comme l’indique la modalité exclamative. Mais où et comment Myrto est morte ? C’est ce que nous allons voir dans le deuxième mouvement.

 

II-               2ème mouvement : un hymne irréalisable :

 

   « Un vaisseau la portait aux bords de Camarine Â», qui dit vaisseau dit mer, et la jeune Tarentine se dirigeait à Camarine, une ville de Sicile. Camarine est reprise par l’adverbe de lieu « là Â» et là on préparait son mariage. En témoignent des termes comme « hymne Â», « chansons Â», « flûtes Â» : les éléments énumérés créent une atmosphère euphorique que vient remettre en question l’adverbe de manière « lentement Â» accentué par « devoir Â» conjugué à l’imparfait et qui marque une chose qui devait se réaliser normalement. Qu’est-ce qui empêche donc la jeune Tarentine de rejoindre son amant ?

   « Une clef vigilante Â», remarquons que l’adjectif épithète « vigilante Â» qualifie d’ordinaire une personne, mais ici il qualifie Â»clef Â»,le mot –clef- suggère la fermeture qui renvoie à l’adjectif « enfermé Â» du vers 8 « Dans le cèdre enfermé sa robe d'hyménée Â». Les vers 7/8 sont marqués par l’assonance en (e) fermé qui renforce cette idée de fermeture.

   Le deuxième mouvement raconte les préparatifs pour le mariage qui aura lieu à Camarine, tout un champ lexical y est mis en place : « robe d’hyménée Â», « or Â», « festin Â», « parés Â», « parfums Â». Cependant, l’adversatif Â»mais Â» vient introduire la perturbation : la jeune tarentine va se noyer et elle est « seule Â» et personne n’est là pour l’aider : Â« Elle crie, elle tombe, elle est au sein des flots Â» : la gradation ascendante, l’anaphore « elle Â», le présent de narration, tous ces éléments décrivent la mort cruelle de Myrto. La rime signifiante « matelots Â»/ Â« flots Â» dramatisent la situation. Loin des matelots, Myrto n’y peut rien, elle est la proie des flots.

   Cette scène évoque à maints égards la mort de Virginie dans Paul et Virginie de Bernardin de Saint Pierre. Le romanesque est à son point culminant.

 

III-            3ème mouvement : une mort tragique ou la mise en scène d’une mort tragique :

 

   Reprise en anadiplose « Elle crie, elle tombe, elle est au sein des flots. / Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine. Â», la jeune Tarentine est tout entière à la mer. Celle-ci est manifeste dans des termes tels que « marine Â», « demeures humides Â». Sont présents aussi « Thétis Â», Â« Néréides Â», Â« nymphes Â», leur rôle dans le poème est de rendre la mort de Myrto un mythe. En effet, les personnages mythologiques font de cette mort un mythe : Thétis a beau essayer, ses Â« yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher Â» n’y peuvent rien. Ce qu’il est capable de faire, c’est de cacher Myrto « dans le creux d'un rocher Â». Les « monstres dévorants Â» sont là, sont forts et font écho à cette « clef vigilante Â» dont il a été question au vers 7. Ces « monstre vigilants Â» sont contre le mariage comme institution : ils ne veulent pas que l’amour perpétue, que les deux amants se réunissent.

   Si l’amant est absent, la nature marque sa présence d’où cet aspect d’érotisation auquel nous assistons dans ce poème : « Son beau corps a roulé sous la vague marine. Â». Cette érotisation se trouve accentuée dans les vers 24/26.

                  Et les Nymphes des bois, des sources, des montagnes,
                   Toutes frappant leur sein et traînant un long deuil,

 

   L’énumération, ici, a pour rôle de généraliser. Le deuil est général comme le montre si bien « toutes Â» qui prend l’accent.

   « La jeune Locrienne Â» qui met en scène le discours du disciple de Pythagore qui essaie d’influencer la jeune Locrienne de renoncer aux plaisirs. Mais le carpe diem demeure le mot d’ordre et la jeune Locrienne retourne à ses amours.

   Le deuil de Myrto est « long Â», son corps est poussé au rivage. Ce dernier terme traverse tout le poème, il fait écho à « bords Â» du vers 4, « seuil Â» du vers 6 : Myrto est au bord de l’amour, du mariage, elle est morte et sa mort est regrettée d’où l’interjection « hélas Â».

   Le discours des nymphes qui débute donc sous la forme du regret fonctionne comme une anacéphaléose, une sorte de quintessence de tout le poème/récit. Ce petit discours foisonne de négation « tu n’es point Â», « tu n’as point Â», « n’a point Â», « n’orna point Â». Cette négation à deux éléments marque la fin d’un rêve : le rêve de Myrto qui ne revêtira jamais sa robe d’hyménée.

 

 

   Chénier, en reprenant un topos romanesque, met en scène la mort tragique de Myrto qui allait rejoindre son amant, mais la mort s’oppose concrètement à cette union. L’amour demeure inachevé et l’élégie continue.



23/06/2009
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